- POLYMÈRES - Polymères thermostables
- POLYMÈRES - Polymères thermostablesDepuis 1950, le développement extrêmement rapide de l’industrie des polymères synthétiques a mis à la disposition des utilisateurs de nombreux matériaux nouveaux aux propriétés mécaniques remarquables. C’est ainsi que les matières plastiques remplacent de plus en plus souvent le métal dans la fabrication des objets qui nous sont familiers. Il semblait toutefois, jusqu’à une date encore rapprochée, que le métal conservait sur le produit organique un avantage indiscutable pour l’emploi aux températures élevées (tabl. 1).C’est pourquoi un effort particulièrement important fut entrepris pour élargir le domaine des températures d’utilisation des matériaux organiques et plus spécialement pour en repousser la limite supérieure en faisant appel à des espèces chimiques thermostables.1. Comportement des matières plastiques aux températures élevéesSous l’action exclusive de la chaleur, un polymère est le siège de transformations physiques et de transformations chimiques. Il se présente généralement à la température ambiante sous la forme d’un solide: les chaînes macromoléculaires sont liées entre elles grâce à des interactions moléculaires intenses qui assurent la rigidité de l’édifice et ses qualités mécaniques. Au cours d’une élévation de température, l’énergie d’agitation thermique s’accroît jusqu’à devenir suffisante pour supplanter les interactions entre macromolécules. S’il n’existe aucune liaison covalente (pontage) entre ces macromolécules, elles peuvent se mouvoir indépendamment les unes des autres; l’échantillon devient de plus en plus fluide et ne présente plus finalement aucune rigidité mécanique. Bien que ce phénomène apparaisse progressivement, il peut être comparé à la fusion des espèces organiques cristallines. Une première condition pour obtenir des polymères utilisables à haute température est de synthétiser des macromolécules ne fondant qu’à haute température.Lorsque la température est suffisamment élevée, un polymère est toujours le siège de réactions chimiques qui provoquent la destruction de sa structure macro-moléculaire, ce qui s’accompagne de la perte de ses qualités mécaniques. L’environnement du polymère intervient fréquemment dans le processus de dégradation: l’utilisation dans l’air à température élevée suppose non seulement une résistance à la pyrolyse mais également une insensibilité à l’oxydation et à l’hydrolyse. Ces réactions existent à toute température et provoquent un vieillissement d’autant plus rapide que la température d’utilisation est plus élevée. Un polymère thermostable est caractérisé par une durée d’utilisation à une température donnée dans un milieu donné.Actuellement, un polymère thermostable est considéré comme intéressant s’il est utilisable: de 10 000 à 20 000 heures à 250 0C; de 5 000 à 10 000 heures à 300 0C; plusieurs milliers d’heures à des températures supérieures à 300 0C.Sans évoquer le problème de prix de revient, qui est toujours à prendre en considération, l’utilisateur peut avoir des exigences complémentaires à la thermostabilité, en ce qui concerne tant les propriétés électriques, optiques, les propriétés d’ininflammabilité, etc., que la forme d’utilisation (film, fibre, adhésif, élastomère, etc.). Cela suppose que les produits obtenus peuvent être façonnés: la difficulté de leur mise en œuvre est un handicap grave pour le développement des polymères thermostables.2. Recherche d’une température de fusion élevéeSi une température de fusion élevée n’est pas toujours indispensable (huiles thermostables), il est souhaité que le ramollissement des polymères, dans leur forme d’utilisation la plus courante, ait lieu à des températures plus élevées que leur dégradation.La température de fusion F d’un polymère cristallin est liée à l’enthalpie de fusion HF et à l’entropie de fusion SF par la relation:Pour obtenir une valeur élevée de F, il est particulièrement efficace de diminuer SF, c’est-à-dire de construire une structure pour laquelle les chaînes macromoléculaires restent ordonnées à l’état liquide. Cela peut être obtenu en augmentant au maximum les forces d’interaction moléculaires qui subsistent dans l’état liquide et en accroissant la rigidité propre de la chaîne macromoléculaire. C’est ainsi que la présence dans la molécule de groupes d’atomes fortement polaires, de substituants volumineux ou de motifs à structure résonnante augmente considérablement la température de fusion des polymères correspondants (tabl. 2).3. Recherche d’une structure résistant à la pyrolyseAu cours du chauffage d’une molécule organique, les liaisons entre atomes sont rompues et, dans une première phase de réaction, il se forme généralement des radicaux libres. Plus la liaison qui unit deux atomes est forte, et plus la température nécessaire à sa rupture est élevée. Aussi a-t-on testé les structures macromoléculaires formées à partir d’enchaînements covalents mettant en jeu des liaisons intrinsèquement plus stables que les liaisons C 漣C ou C 漣H des polymères vinyliques classiques. La stabilité des liaisons a pu être mesurée, et les principaux résultats en sont présentés sur le tableau 3.L’examen rapide de ce tableau montre l’intérêt des structures comportant les groupes d’atomes 漣C=C 漣 ou 漣C=N 漣, des composés fluorés et des composés organominéraux.Toutefois, les énergies de liaison entre atomes dépendent considérablement des substituants qui sont portés par ceux-ci: le remplacement dans un enchaînement polyméthylénique d’un segment 漣C 漣C 漣 (E = 347 kJ/mole) par une double liaison éthylénique intrinsèquement plus stable (E = 610 kJ/mole) ne constitue aucunement un facteur de stabilisation, si cet acte est isolé. Cela est dû au fait que le point singulier ainsi introduit, outre sa réactivité vis-à-vis d’agents électrophiles, sensibilise l’homolyse des liaisons C 漣H portées par les atomes adjacents et favorise ainsi la formation de centres radicalaires qui amorcent le processus de dégradation. Il importe donc, pour assurer une bonne stabilité thermique, d’éviter les doubles liaisons isolées (nécessité d’une conjugaison) et les atomes d’hydrogène mobiles.L’influence des substituants sur la stabilité de la liaison entre atomes apparaît également dans l’étude des polymères fluorés: lors du remplacement d’un atome d’hydrogène d’un groupement méthylène par un atome du fluor, la liaison C 漣H restante est affaiblie. Cela explique l’ordre de stabilité thermique décroissante observé dans la série du polyéthylène:De même, certains polymères perfluorés ramifiés, tels que le polyhexafluoropropylène, s’avèrent moins stables que leurs homologues hydrogénés: la substitution a pour effet de favoriser la rupture de la macromolécule au point de ramification.La structure de la macromolécule intervient également sur sa stabilité thermique. Ainsi, les polymères linéaires, dont les motifs de répétition sont liés entre eux par plus de deux liaisons (polymères dits «en échelle»), présentent une stabilité plus grande que leurs homologues simples. Une telle structure est rigide: elle conduit à des matériaux de point de fusion élevé, ce qui constitue un avantage supplémentaire. Le polyacrylonitrile pyrolysé, par exemple, est un polymère en échelle:4. Recherche d’une structure résistant à l’environnementLa destruction de la structure du squelette macromoléculaire peut survenir non seulement par suite de réaction de craquage, mais également par attaque des liaisons par un réactif chimique. Cette réaction peut avoir lieu entre les éléments de la chaîne eux-mêmes comme dans le cas de la dégradation des silicones, décrite dans la formule 1.Il est apparu que le caractère partiellement électro-déficient des éléments constitutifs de nombreux polymères organominéraux, tels l’aluminium ou le bore, ou le fait qu’ils pouvaient exister à l’état hexacoordiné (silicium) les rendaient sensibles aux attaques nucléophiles ou autorisaient des réactions intramoléculaires responsables de processus dégradatifs avec évolution d’oligomères cycliques.Très fréquemment, les polymères sont utilisés dans l’air, et l’oxydation est alors un facteur de dégradation très important. L’attaque de l’oxygène se fait souvent au niveau d’une liaison carbone-hydrogène. Il convient donc d’écarter les structures comportant des atomes d’hydrogène oxydables, l’idéal étant l’absence totale d’hydrogène. Nous prendrons pour exemple l’influence de la présence d’un atome d’hydrogène mobile sur la stabilité thermique d’une polyquinoxaline (formule 2).5. Les problèmes de la mise en œuvreLes polymères industriels sont généralement mis en forme à l’état fondu. Des fils ou des films peuvent également être obtenus à partir de solutions concentrées.Dans le cas des matériaux thermostables, puisque la température de ramollissement recherchée doit être supérieure à la température de dégradation, le premier type de mise en œuvre est a priori exclu. D’autre part, le recours à des structures rigides, s’il améliore la stabilité thermique, diminue le nombre de solvants utilisables. L’emploi de solvants très efficaces comme le diméthylformamide, le diméthylsulfoxyde, la N-méthylpyrrolidone ou l’hexaméthylphosphoramide n’est pas toujours suffisant pour permettre les mises en œuvre à partir de solutions de polymère; néanmoins, l’utilisation de ces solvants aprotiques polaires a permis l’industrialisation des polyamides aromatiques et des polyamide-imides.Souvent, un compromis doit intervenir entre une stabilité thermique élevée et la possibilité de mise en œuvre.Dans certains cas particuliers, une solution élégante à ce problème a été trouvée dans la technique dite du prépolymère. Par exemple, dans la synthèse du polyimide décrite ci-dessus, un polyamide-acide se forme intermédiairement. Celui-ci peut être isolé, il possède plusieurs solvants organiques et peut être mis sous forme d’un film par évaporation d’une solution. Un simple chauffage du prépolymère ainsi obtenu achève sa cyclisation en polyimide (formule 3). Cette technique est utilisée pour l’obtention de films et de vernis d’émaillage pour les conducteurs électriques.Une seconde voie consiste à introduire, dans la chaîne macromoléculaire, des groupements flexibilisants – en général des enchaînements oxyde de phénylène (formule 4) – ou des groupements volumineux qui s’opposent à une organisation régulière des chaînes (formule 5). On obtient alors des polymères de haute masse moléculaire, thermoplastiques. Enfin, on a développé des produits qui utilisent, au moment de la mise en œuvre, des réactions d’addition. Par exemple, les polybisaminomaléimides se forment par réaction d’un mélange fusible donnant lieu à des réactions d’addition d’amines aromatiques sur des bismaléimides et à des réactions de réticulation des doubles liaisons des maléimides (formule 6). Dans le même esprit a été développée la technique dite P.M.R. (polymerization of monomer reactants) qui consiste à polymériser au moment de la mise en œuvre, par une réaction d’addition des oligomères fusibles de faible masse (formule 7): il se forme ainsi des réseaux réticulés. Ces réactions sont mises à profit pour l’obtention d’adhésifs ou de matrices de composites, ou d’objets moulés.6. Principaux polymères commercialisésCompte tenu des critères qui ont été dégagés, seules quelques classes de polymères (généralement des polycondensats) présentent des caractéristiques de thermostabilité. Il est possible de les regrouper en quatre familles: les polymères comportant un reste aromatique dans le motif de répétition; les polymères hétérocycliques; les polymères perfluorés; les polymères organominéraux.Polymères aromatiquesPlusieurs synthèses des polyphényles ont été proposées:Malgré leur excellente thermostabilité, les polymères insolubles et infusibles ne peuvent être mis en œuvre.Par contre, en recourant à des structures moins rigides et moins conjuguées de formule générale:il a été possible de mettre au point des thermoplastiques thermostables qui sont désormais commercialisés.Quand Z est un atome de soufre, on obtient un thermoplastique cristallin, le polysulfure de phénylène (P.P.S., Poly-Phenylene-Sulfur ) pouvant être utilisé jusqu’à 240 0C et ayant de plus une bonne inertie chimique (commercialisé par Phillips Petroleum sous la marque Ryton). En utilisant alternativement un atome d’oxygène et un groupe sulfure, on réalise des thermoplastiques amorphes pouvant être utilisés en continu de 180 à 200 0C. Ceux-ci sont commercialisés par Imperial Chemical Industry (I.C.I.) sous la marque Victrex et par Union Carbide sous les marques Astrel, Udel et Radel. Depuis 1980, on commercialise le polyéther cétone (P.E.E.K., Poly-Ether-Ether-Ketone ), thermoplastique cristallin fondant à 334 0C (I.C.I.). Enfin, lorsque Z est un groupement C 漣 NHde produit, le Nomex qui correspond à un enchaînement en méta et les Kevlar dont l’enchaînement moléculaire est para. Ces produits sont commercialisés sous forme de fibres et le succès du Kevlar est lié aux extraordinaires propriétés mécaniques de ces fibres (Du Pont de Nemours).Polymères hétérocycliquesC’est à la classe des polymères hétérocycliques qu’appartiennent les polymères thermostables susceptibles de résister à des températures supérieures à 250 0C.Les polyimides et leurs dérivés ont indéniablement connu le plus grand succès industriel.Parmi les polyimides de haute masse moléculaire non thermoplastiques le film Kapton et le vernis Pyre-M.L. (Du Pont de Nemours), dont les éléments de structure sont donnés par la formule 3, sont désormais familiers.Les polyesterimides de Schenectady et les amides imides d’Amoco qui sont stables sont utilisés dans les industries électrotechniques.Parmi les polymères thermoplastiques, on voit apparaître sur le marché les polyimides éthers (Ulthem de General Electric) et les polyimides siloxanes (commercialisés par M et T) qui présentent de nouvelles propriétés dues à la combinaison de segments élastomères siloxanes et de segments rigides imides.Parmi les structures thermodurcissables, les polyamino-bis-maléimides trouvent des applications pour la réalisation de matériau de structure et dans le domaine de l’électronique (Rhône Poulenc). Les oligomères imides terminés par des fonctions réactives, acétyléniques (Thermid-600 de National Starch) ou nadimides (Larc de la N.A.S.A.) sont développés pour les applications comme adhésifs et matrices de composites en particulier avec les films haut module (films à très grande résistance mécanique). En dehors de la famille des imides, les polyquinoxalines très résistants au milieu alcalin et les polybenzimidazoles pour l’obtention de fibres sont en développement.Les polyhydantoïnes de Bayer sont commercialisés comme vernis d’émaillage.Polymères fluorésLa grande stabilité de la liaison carbone-fluor, qui est l’un des éléments du succès commercial du polytétrafluoroéthylène, a justifié un grand nombre de recherches dans le domaine des polymères perfluorés. Des élastomères, dont la chaîne est constituée de motifs hétérocycliques séparés par des chaînons aliphatiques perfluorés, ont été décrits comme utilisables en service permanent à 250 0C.Polymères organominérauxDes polymères comportant des atomes de métal (Al, Ti, etc.) ou de non-métal (Si, B, P, As, etc.) peuvent présenter des caractères thermostables. Malheureusement, ils sont assez souvent fragiles et sensibles à l’hydrolyse. Les dérivés à base de silicium et de bore semblent les plus intéressants.7. Domaines d’utilisation des polymères thermostablesLe prix élevé des monomères, les difficultés de mise en œuvre et la faible dimension des récentes unités de production expliquent que les matériaux de grande résistance thermique soient de cinquante à deux cents fois plus chers que les polymères de grande diffusion. Cependant certains d’entre eux sont maintenant offerts à des prix qui permettent d’envisager des applications de plus grande diffusion.On peut distinguer plusieurs domaines d’application dans lesquels leur pénétration est désormais appréciable.– L’électrotechnique: pour les applications de vernis d’émaillage des conducteurs électriques.– L’aviation et les engins: dans ce domaine, les polymères thermostables sont utilisés pour la réalisation de matériaux de structure. Ils permettent l’obtention de structures collées légères et fiables, et associés à des matériaux de renforcement, en particulier aux films à haut module, ils conduisent à des matériaux «compounds» à hautes performances.– L’électronique où ils trouvent des applications pour la réalisation de supports de circuits imprimés ou de circuits souples. Dans ce domaine, ils sont aussi utiles comme adhésifs conducteurs pour l’assemblage de circuits intégrés, et leurs propriétés isolantes sont recherchées pour le développement des circuits à très haute intégration.– Les techniques de séparation pour la réalisation de membranes et de diaphragmes résistants aux environnements agressif et chaud.– Le développement des énergies nouvelles, comme la géothermie et l’exploitation du pétrole profond, implique le développement de nouveaux matériaux isolants.– Enfin, on ne saurait oublier que les matériaux thermostables possèdent des propriétés d’ininflammabilité et c’est ainsi que les vêtements de protection des personnes susceptibles de se trouver prises dans les incendies brutaux sont conçus en fibres thermostables. Plus généralement, ces polymères, utilisés seuls ou combinés avec des matériaux de renforcement, conviennent à l’isolation du matériel appelé à fonctionner à haute température. Ils peuvent entrer dans la fabrication de moteurs électriques, de transformateurs, de pompes pour fluides chauds, de revêtement pour surfaces métalliques chauffées, à moins qu’ils ne servent eux-mêmes de «carter» de protection.Il ne fait aucun doute que le coût des polymères thermorésistants ira en décroissant, ce qui élargira leurs débouchés, en particulier sans doute vers l’industrie automobile. Sans préjuger de l’importance que ces matériaux acquerront sur le plan pratique, le bilan scientifique des études qui les concernent est largement positif. Les recherches commencées vers 1950 ont permis la découverte d’un très grand nombre de familles nouvelles de macromolécules. Les techniques de synthèse, en particulier la polycondensation, ont, de ce fait, sensiblement progressé. De même, la délicate mise en œuvre de ces nouveaux produits a induit des progrès technologiques. Enfin, l’étude critique des résultats observés a permis une connaissance approfondie des relations propriété-structure dans le domaine des polymères.
Encyclopédie Universelle. 2012.